5 mai 2010

Elections britanniques : retour vers 1974 ?

Pour les bons élèves assis au premier rang de ce blog, pas de surprise. Puisque vous êtes assidus et sérieux , vous savez déjà qu'il est improbable que l'un des trois partis principaux aux élections législatives britanniques du 6 mai obtienne la majorité absolue des sièges à la Chambre des Communes, c’est-à-dire 325 ou plus. Or, seule une majorité absolue de ces sièges garantit la nomination comme Premier Ministre du candidat de tel ou tel parti. Le défaut de majorité absolue possède un nom qui va bien avec son caractère, perçu comme dramatique ; "hung parliament" ("parlement pendu").  Selon les derniers sondages, en date du 3 mai, les Conservateurs obtiendraient entre 33 et 35 % des voix, les Travaillistes 28 % et les Libéraux Démocrates 27 ou 28 %. Je n’ai trouvé aucune évaluation chiffrée crédible du nombre de sièges que ces voix pourraient représenter. Pour vous donner une idée, aux élections législatives de 2005, les Travaillistes ont obtenu 356 sièges avec 35.6 % des votes, les Tories 198 sièges avec 32.3 % des votes, et le LibDem 62 sièges avec 22.1 % des votes. Pas étonnant que l’on parle d’instaurer enfin un brin de proportionalité dans ce pays d’ici à 2015, mais c’est un autre sujet...

Vendredi 7 mai, la Reine Elizabeth, qui nomme le Premier Ministre, sera probablement au milieu d'un cyclone politique. Mais elle est tenace et a déjà vu ca avant, en 1974, pour être exacte. J'avais deux ans, et je m'en souviens comme si c'était hier... Pfff, non, en fait, j'ai du bachoter pas mal pour vous faire ce résumé succint de l'expérience de 1974 . Il est important d'en parler ici car ce cas sera mentionné très souvent en cas de d'absence de majorité absolue, et mon but dans la vie n'est autre que de vous donner une longueur d'avance quand il s'agira de donner un sens aux tumultes post-élections.

Manque de clarté ou envie de changement ?

Je me suis tapée, en particulier, un papier pas très digeste de la Hansard Society et du Study of Parliament Group qui soutient que tout résultat qui ne donnerait pas une majorité absolue à l’un des partis serait un résultat « manquant de clarté ». Mais voyons, cessons ces jérémiades qui bénéficient aux vieux de la vieille de la politique britonne et garantissent le status quo. Pas clair, un résultat forçant les partis à dialoguer un tant soit peu entre eux ? Au contraire, il me semble : ce serait un message limpide de l’électorat en faveur d’un peu plus d’équilibre dans l’exercice du pouvoir exécutif .

1974, Une bien belle année

Ah, 1974, une bonne vieille année de guerre froide ! L’année où fut inauguré l’aéroport Charles de Gaulle, que tout un chacun continue d’adorer; l’année de la publication de Carrie de Stephen King et de la Révolution des Oeillets au Portugal. L’année de la Coupe du Monde de football en République Fédérale d’Allemagne et, surtout, oui surtout, l’année de naissance de Hillary Swank et Leonardo DiCaprio.

Bon, ce fut aussi, de triste mémoire, l’année où le Royaume-Uni connut non pas une, mais deux élections législatives .

 
Le premier srutin avait eu lieu le 28 février. Aucun des partis en lice n’avait obtenu la majorité absolue de 325 sièges, et le parti au pouvoir, les Tories, s’il avait bénéficié d'une très courte majorité des voix (37.9 %, contre 37.8 % pour le Labour), était déficitaire en sièges (297 sièges contre 301 pour le Labour) . Ce genre de chose pourrait arriver à nouveau demain !

 
Le Premier Ministre Tory sortant, Edward Heath, décida malgré tout de rester à son poste. En effet – et notez bien ceci- si aucun parti n’obtient une majorité absolue, le Premier Ministre n’a pas l’obligation de démissionner, en tout cas jusqu’à ce que le Parlement passe un vote de « no Confidence » ... Après l'échec de ses négociations pour former un gouvernement de coalition avec Jeremy Thorpe, le leader du parti libéral de l’époque (qui avait obtenu 19.35 % des votes et remporté ...14 sièges), Heath fut contraint de démissionner et Harold Wilson, chef du parti Travailliste, fut nommé Premier Ministre . Wilson demanda à la reine de dissoudre le Parlement plus tard dans l’année, et celle-ci le lui accorda, Ces élections générales, tenues le 10 octobre, donnèrent à Wilson une courte majorité à la chambre .



Traduction pour l’année 2010

Même si son parti perd les élections, Gordon Brown est privilégié politiquement parce qu’il n’est pas forcé de démissionner si les Conservateurs et, encore moins vraisemblablement vu l’éparpillement de leurs électeurs, les LibDem, n’obtiennent pas la majorité absolue des sièges à la Chambre. Il est libre de rester à son poste et de tenter de former une coalition avec les LibDem, si tant est qu’ils puissent rassembler la majorité des voix, et donc la confiance de la Chambre des Communes .


C’est pour cela que David Cameron ne va pas dormir jusqu’à demain soir, qu’il va continuer sa campagne sans relâche : il sait que s’il n’obtient pas cette fichue majorité absolue, il est très probable que le Labour et les LibDem vont former un gouvernement de coalition, d’autant plus qu'ils se sont assez ouvertement fait la cour. Ce gouvernement aurait, en fonction du nombre de sièges de ces deux partis, de grandes chances d’obtenir la confiance de la Chambre des Communes . Mais, oulala, s’ils font cela et que les Tories ont la majorité relative des voix et des sièges, ouch pour la démocratie britannique ! Former un exécutif sans le parti pour lequel ont voté en majorité les électeurs, ca risque de coincer aux entournures ...

 

A demain, donc !

 

Isabelle Otto

3 commentaires:

sknob a dit…

Exposé limpide sur un système qui ne l'est pas ;-)

Pierre a dit…

Pas mieux, c'est très clair !

Assa a dit…

Billet très intéressant. Sur le site web de la BBC, il y avait aussi une rétro à l'année 1974 avec vidéo à l'appui pour un peu éclairer ce qui pourrait se passer en cas de hung parliament... Bref, j'ai hâte de voir ce que ça va donner demain!